Abby mit pied à terre dès qu'elle aperçut au loin les pierres de ce qui fut jadis la forteresse d'un ordre qu'elle avait voulu fuir. Six années d’errance sans jamais trouver le moyen d'oublier, de tourner la page. Elle marcha lentement pour redescendre cette colline où elle se réfugiait pour tant de choses. Ce n'était plus Cogliero qui s'ébrouait près d'elle, celui-ci ayant été emporté par une aura de feu d'un élémentaliste fou. Alba était une jument paisible, et sa robe Isabelle ne lui conférait aucune grâce particulière. Mais elle était robuste, endurante et avait le pied sûr. Plus Abby approchait, plus elle devait se rendre à l'évidence: l'attaque Kurzik avait bel et bien eut lieu et elle avait du être brutale et féroce. La herse était pendante et tordue, presque enroulée à un morceau de mur d'enceinte. L'endroit semblait désert, et après une courte hésitation, elle tira sa monture jusqu'à la grande cour. Elle prit le temps de regarder tout autour d'elle et ne put s'empêcher de sourire. Bien que la forteresse montrait de nombreux stigmates de combat acharné, elle était encore debout. Abandonnée, mais debout. Aucun corps n'avait été laissé, signe qu'il y avait eut des survivants après les combats. Pourquoi cet endroit était-il désert, elle n'en avait aucune idée. Images, bruits et odeurs envahissaient son esprit à chaque fois que son regard s'attardait sur quelque chose... Cependant, un bruit de pierre qui roule la ramena brusquement à la réalité. Instinctivement, elle se tourna vers Alba qui avait la tête haute et les oreilles pointées vers l'avant, semblant guetter. Abby se précipita pour saisir son épée restée accrochée à la selle avant de demander fermement et à haute voix:
-Qui vas là?!
Elle n'eut aucune réponse, mais un autre bruit se fit entendre vers les écuries, et elle réitéra sa question tout en se rapprochant prudemment.
-Montrez vous, je ne vous veux aucun mal.
Soudain, un homme se précipita sur elle, l'épée brandie, en hurlant comme un forcené. Abby n'eut aucun mal à parer son assaut et le renverser avant de stopper sa propre lame contre sa gorge, ce qui lui passa instantanément l'envie de riposter. L'homme à terre affichait un air stupéfait et balbutiait:
- Co... commandante?
Cette fois, c'est Abby qui était stupéfaite car elle ne reconnaissait pas du tout l'homme au bout de son épée. Devant son silence, et avec toujours la menace qui pesait sur la gorge, il continua, tremblant.
-Gorand! Mon nom est Gorand! Vous ne semblez pas vous souvenir de moi... je n'était qu'un simple garde... avant que vous m'expédiez en cuisine à cause de...
Abby retira son épée et ne le laissa pas terminer.
- Par tous les dieux! Qu'est-ce que vous faites ici?
Soulagé, Gorand saisit la main qu'elle lui tendait pour l'aider à se relever et s'expliqua.
- Je suis venu prendre de l'eau au puits. Quand tout le monde est partit, je n'ai pas voulu les suivre et je suis resté, persuadé qu'ils reviendraient tous un jour avec le roi en tête de cortège... Mais les années ont passé, et je me suis installé avec ma femme pas loin d'ici, dans une petite maison au sud... ne me châtiez pas commandante, je ne voulais pas piller les biens du royaume, mais les temps sont durs et je ne prend ici que ce qui m'est nécessaire.
- Allons Gorand! D'abord, je ne suis plus votre commandante et je comprend tout à fait votre situation. Prenez votre eau et retournez auprès des votres, je vous rendrai certainement visite.
- A vos ordres! Enfin... je veux dire... oui, merci Ma Dame.
Abby avait en tête de tout explorer avant de poser plus de questions à Gorand et cela allait certainement lui prendre le reste de la journée. Elle entreprit alors de desseller sa jument avant d'aller à la salle des archives, sac sur le dos, et épée ceinturée. La première chose qu'elle remarqua quand elle poussa la lourde porte entre-ouverte, ce fut les parchemins et livres à moitié calcinés qui jonchaient le sol. Des étagères s'étaient écroulées et elle eut le plus grand mal à parvenir jusqu'au fond de la vaste pièce. Cependant, plus elle progressait, moins il y avait de dégâts, comme si les combats s'étaient limités à l'entrée. Le fin fond de la pièce était intact. Poussiéreux, mais intact. Comme si rien n'avait été touché. # Est-il possible que... ? Non... ce serait incroyable! # Soudain impatiente, elle dégagea une échelle coincée sous une étagère renversée et la cala au mieux pour accéder à des volumes situés en hauteur. Il était là. Cet énorme livre relié qu'elle chérissait tant était toujours là. Elle le serra contre elle, tel un trésor et redescendit. # Toi, je te garde avec moi. Plus question que tu coures le moindre risque après un tel miracle # Elle était à la fois ravie de le retrouver, et furieuse que tous soient partis sans emmener l'imposant livre de l'histoire des Eagles. Le gardant toujours contre elle, elle attrapa sont sac et sortit. Dehors, le ciel avait viré au gris et un coup de tonnerre annonçait un orage tout proche. Ecourtant son exploration, elle se précipita vers ce qui fut le bureau de recrutement. Visiblement, tout avait été fouillé, jusqu'à la moindre petite boîte. Elle referma la porte alors que les premières gouttes de pluies tombaient, et déposa sac, livre, et épée sur le bureau après l'avoir redressé. C'est alors qu'elle comprit. Elle pouvait fuir où elle voulait, le temps qu'elle voulait. Son cœur restait là et nul part ailleurs.